Arrêt définitif de Doel 3 et Tihange 2
Comment tout a commencé
Le 1er janvier 1975, la construction de la troisième unité de la nouvelle centrale nucléaire débute sur les sites de la société énergétique Ebes dans le village des polders de Doel, sur les rives de l’Escaut. A Huy dans la province de Liège, une nouvelle unité similaire s'élève sur les sites d'Intercom sur la rive droite de la Meuse pendant la même période : Tihange 2. Un consortium composé du constructeur français de centrales nucléaires Framatome, du constructeur électrique ACEC de Charleroi et du sidérurgiste liégeois Cockerill, construit les centrales sur la base d’un projet de la société américaine Westinghouse. Il s’agit de réacteurs à eau sous pression (ou REP - réacteur à eau pressurisée) avec 3 boucles d’eau de refroidissement primaire et une capacité électrique nette de 900 MW. Les turbines à vapeur sont fournies par la société franco-américaine Alsthom Atlantique.
Faits marquants
- 14 juin 1982 : 1ère criticité de Doel 3 = premier lancement d’une réaction en chaîne dans le réacteur.
- 23 juin 1982 : Première connexion de Doel 3 au réseau.
- 1er octobre 1982 : Début officiel de la mise en service industrielle de Doel 3.
- 5 octobre 1982 : 1ère criticité de Tihange 2.
- 13 octobre 1982 : 1er connexion de Tihange 2 au réseau.
- 1er février 1983 : Début officiel de la mise en service industrielle de Tihange 2.
- 1993 : Remplacement des générateurs de vapeur de Doel 3.
- 2001 : remplacement des 3 générateurs de vapeur de Tihange 2 en 62 jours, record mondial à l’époque.
- 2010 : Tihange 2 bat le record de production annuelle en Belgique avec 8824 GWh produits. Le record est battu l'année suivante par Tihange 3.
- 4 juillet 2012 : Début du dossier sur les défauts dûs à l’hydrogène dans la cuve du réacteur de Doel 3.
- 2 octobre 2012 : Prolongation de révision de Tihange 2 suite à la détections de défauts dûs à l’hydrogène (DDH).
- 17 novembre 2015 : L’AFCN approuve le redémarrage de Doel 3 et Tihange 2.
40 ans de Doel 3 en chiffres
1006 mégawatts de puissance
Opérationnelle pendant 11 924 jours
Plus de 270 000 000 de megawattheures d’électricité produite
90 205 plates-formes à démanteler
40 ans de Tihange 2 en chiffres
1008 mégawatts de puissance
Opérationnelle pendant 11 963 jours
Plus de 270 000 000 MWh d’électricité produite
Le cycle de vie de Doel 3 et Tihange 2
Le cycle de vie d’une centrale nucléaire s’étend du premier coup de bêche au moment où le site est libéré pour d’autres activités. En ce qui concerne Doel 3 et Tihange 2, ce cycle couvre une période de plus de 60 ans.
Doel 3 :
Tihange 2 :
Avec la mise à l’arrêt définitif de Doel 3 et Tihange 2 débute une nouvelle phase dans le cycle de vie de ces centrales nucléaires : la phase de mise à l’arrêt définitif. Cette phase est une partie nécessaire du processus de déclassement. Elle commence au moment de l'arrêt définitif et se termine lorsque tous les éléments combustibles et les matières radioactives ont été retirés des installations. L'objectif de la phase d'arrêt final est de préparer les installations pour le démantèlement.
Plus précisément, la phase d'arrêt définitif comprend le déchargement du réacteur et le transfert du combustible vers les piscines de désactivation. Elle comprend également la décontamination du circuit primaire et le transfert du combustible vers des bâtiments d’entreposage. L'élimination des filtres et des résines, le rinçage final des tuyaux et des piscines, et l'élimination des déchets, des effluents et des produits dangereux interviennent également dans cette phase.
Ensuite, Electrabel procédera au démantèlement effectif de la centrale nucléaire. On accorde ici une grande attention aux « Big Four » : le démantèlement du réacteur et de ses parties internes, de la structure de protection en béton autour de la cuve du réacteur et du circuit primaire, avec entre autres les générateurs de vapeur. Il faut également éliminer tous les tuyaux, câbles et autres équipements et construire l’infrastructure nécessaire pour traiter les matériaux et les déchets provenant du démantèlement.
Ce n’est que lorsqu’Electrabel aura éliminé toute trace de radioactivité des installations que sera lancée la phase finale, dans laquelle toutes les structures restantes seront intégralement démolies.
La phase de mise à l’arrêt
Dans la soirée du vendredi 23 septembre 2022, à 21h31, les opérateurs de la salle de commandes de Doel 3 ont arrêté pour la dernière fois le réacteur et ont déconnecté l’unité du réseau haute tension. Le 31 janvier 2023, à 22h45, la même chose s'est produite à Tihange 2.
Au début d’un nouveau cycle du combustible nucléaire, la réactivité du cœur est élevée. Pour maintenir la réaction nucléaire en équilibre, il faut absorber une partie des neutrons libérés lors de chaque fission nucléaire. Cela peut se faire en ajoutant de l’acide borique à l’eau de refroidissement et en faisant descendre entièrement les barres de contrôle dans le cœur.
Au fur et à mesure de l’avancée du cycle du combustible nucléaire, la réactivité diminue. Les concentrations en acide borique dans l’eau primaire sont progressivement réduites et les barres de contrôle sont de plus en plus éloignées du cœur pour maintenir la réaction nucléaire en équilibre.
À la fin du cycle du combustible nucléaire, il arrive un moment où la concentration en acide borique est nulle et où les barres de contrôle sont complètement remontées. À ce stade, la température de l’eau de refroidissement est abaissée afin de garantir que la réactivité reste suffisamment élevée pour maintenir la réaction en chaîne nucléaire. Cela entraîne une baisse de la puissance. La centrale est alors en phase de strech-out.
Dans les semaines qui suivront, le personnel effectuera les activités auxquelles il est habitué lors des arrêts annuels de maintenance. Quelques jours après l’arrêt du réacteur, ils débrancheront tous les câbles du réacteur, dévisseront les boulons de son couvercle et l’ouvriront. Ils rempliront le bassin du réacteur avec de l’eau - qui bloque très efficacement les radiations du cœur du réacteur - et retireront les parties internes supérieures du réacteur. Puis, pièce par pièce, ils sortiront les 157 éléments combustibles d’environ quatre mètres de long du réacteur et les placeront sur le système de transport qui transférera les éléments vers les piscines de refroidissement, situées dans un bunker adjacent au bâtiment du réacteur. Toutes ces opérations se feront entièrement sous l’eau.
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Dans la phase suivante, le personnel commencera la décontamination chimique du circuit primaire. Le circuit primaire comprend entre autres le réacteur, les pompes primaires, les conduites d’eau de refroidissement primaire et le la pressuriseur.
Les activités dans les piscines de refroidissement débuteront également en 2023. Les éléments combustibles de précédents cycles du réacteur - qui ont déjà refroidi pendant plusieurs années - seront transférés sous l’eau dans des conteneurs de stockage et de transport spéciaux. Les conteneurs remplis seront sortis de l’eau, séchés, fermés hermétiquement et transférés dans un bâtiment destiné à l’entreposage temporaire du combustible usé sur le site de la centrale nucléaire.
La phase de mise à l’arrêt ne se limitera bien évidemment pas à cela. Tant qu’il y aura du combustible dans les piscines de refroidissement, certains systèmes devront rester en service ou en veille pour assurer le refroidissement du combustible en toutes circonstances : systèmes de contrôle, de mesure et de commande, tableaux et interrupteurs électriques, générateurs de secours, systèmes de lutte contre l’incendie, systèmes de ventilation, pompes, tuyaux et réservoirs de stockage de l’eau de refroidissement et d’autres liquides, systèmes de filtration, etc. Une partie du personnel sera donc toujours engagée dans la surveillance, les tests et la maintenance de tous ces systèmes.
Au cours de la phase de mise à l’arrêt, le risque nucléaire sera toutefois réduit par la poursuite du refroidissement du combustible, ce qui rendra les systèmes de sécurité de moins en moins nécessaires. Les systèmes qui ne sont plus nécessaires seront mis hors service selon une planification minutieuse.
En 2027, lorsque les piscines de refroidissement seront complètement vides et que tous les conteneurs de combustible nucléaire auront trouvé une place dans les bâtiments d’entreposage temporaire, le personnel procédera à la décontamination des piscines de refroidissement et des systèmes de refroidissement associés. Après l’achèvement des travaux, la majeure partie de la radioactivité aura disparu des installations. Les dernières eaux usées et substances dangereuses devront encore être éliminées. Tout sera alors prêt pour le démantèlement complet de la centrale.
Finalement, la préparation du démantèlement de Doel 3 et Tihange 2 va aussi nécessiter la construction de nouveaux bâtiments qui serviront pour les activités de démantèlement : entreposage temporaire des déchets produits, ateliers de traitement des déchets et des gros composants, installation de contrôle et de mesure de libération, etc.
La phase de démantèlement
Une fois que les activités de la phase de mise à l’arrêt seront suffisamment avancées et que le permis le permettra, Electrabel commencera le démantèlement des installations - déjà en 2026, selon le planning actuel. Les activités de démantèlement dans le bâtiment du réacteur détermineront la durée de cette phase. Les installations restantes - telles que la salle des machines, les bâtiments abritant les installations électriques et les systèmes de contrôle, les bunkers des systèmes de sécurité de 2e niveau - seront démantelées en parallèle.
Le démantèlement du bâtiment du réacteur commencera par le découpage et le retrait des parties internes du réacteur. Il s’agit en l’occurrence des grilles qui maintiennent les éléments combustibles en place, de la dalle sur laquelle tout repose et des systèmes de commande des barres de contrôle. Ces composants en acier sont devenus radioactifs après plusieurs décennies d’exposition aux radiations du cœur du réacteur. La découpe se fera donc sous l’eau, au moyen de robots télécommandés. Les pièces découpées seront ensuite stockées dans des conteneurs spécialement conçus à cet effet.
Après les éléments internes, la cuve du réacteur elle-même sera également démantelée. Les parois en acier de 20 centimètres d’épaisseur de la cuve seront découpées en petits morceaux à l’aide de scies spéciales et, comme les parties internes du réacteur, seront stockés dans des conteneurs.
L’étape suivante consistera à démanteler le circuit primaire. Les tuyaux en acier du circuit de refroidissement primaire seront découpés à l’aide de lames de scies au tungstène ou à diamants et les sépareront des principaux composants, tels que les générateurs de vapeur et le pressuriseur. Ces composants seront éliminés dans leur intégralité et transférés sur un site où ils seront démantelés. Ces composants étant nettement moins radioactifs, il n’est pas nécessaire de procéder à leur découpe sous l’eau, même si, là encore, des machines télécommandées sont parfois utilisées.
Une fois que la cuve du réacteur aura complètement disparu, les équipes pourront s’attaquer au bouclier biologique, un épais mur de béton de 2,65 mètres d’épaisseur entourant la cuve du réacteur. Après avoir été exposé pendant plusieurs dizaines d’années à des niveaux élevés de radiation, l’intérieur de cet anneau de béton autour du réacteur est devenu radioactif. La couche de béton radioactif sera soigneusement séparée du reste, traitée et transférée chez Belgoprocess en tant que déchet radioactif.
Après le retrait du bouclier biologique, les équipes vérifieront toutes les structures en béton restantes dans le bâtiment du réacteur. À l’aide d’un équipement de mesure spécial, elles vérifieront chaque centimètre pour détecter la présence éventuelle de radioactivité. Si nécessaire, elles gratteront les surfaces pour éliminer toutes les particules radioactives. Une fois ces travaux terminés, le bâtiment du réacteur sera prêt pour une démolition conventionnelle.
La phase finale
À la fin de la phase de démantèlement, toutes les parties de la centrale nucléaire seront totalement exemptes de radioactivité ou de substances dangereuses. Les structures et bâtiments restants seront entièrement détruits à l’aide de méthodes de démolition conventionnelles. Une fois toutes les unités démolies, le site sera prêt à accueillir de nouvelles activités industrielles.
Il est toutefois important de noter qu’à ce moment-là, du combustible nucléaire sera encore présent sur les deux sites, dans les bâtiments d’entreposage temporaire cités précédemment. Le périmètre de sécurité autour de ces bâtiments de stockage sera peut-être plus petit que celui du site actuel, mais sa présence indique toutefois que certaines restrictions - principalement liées à la sécurité - seront d’application pour la réaffectation du site.